À quelques semaines du début de la coupe du monde au Qatar, nous avons souhaité revenir sur la qualification des Lions Indomptables du Cameroun, non pas pour disserter sur leur prestation technique lors de ses matchs couperets contre l’Algérie, mais plutôt pour s’intéresser à l’expression employée, entre deux rencontres, par son sélecteur national, Rigobert SONG qui s’exprimait comme suit :
« Quand tu sais que tu es en danger, tu n’es plus en danger. C’est quand tu ne sais pas que tu es en danger, c’est là où tu es en danger. C’est de ça qu’il s’agit ».
Une expression qu’il justifiait à ce moment-là par la « théorie du danger » devant être mise en œuvre par son équipe qui, dos au mur, avait une obligation de résultat lors du match retour à Blida dans un stade bouillonnant et déjà à la fête.
Et pourtant, le Cameroun s’est qualifié après un but assassin de Karl TOKO-EKAMBI aux dernières minute et seconde du match plongeant ainsi toute l’Algérie dans une douleur lancinante ; elle qui pensait « ne plus être en danger » et tenir fermement son ticket pour le mondial.
Il n’en fallait donc pas plus pour que la théorie du danger soit consacrée et que l’expression qui l’illustre devienne virale dans les médias et sur les Réseaux Sociaux. En effet, très vite, tout le monde se l’approprie et la détourne.
Si la plupart du temps cela a été fait pour s’en amuser, on a aussi vu certains grands annonceurs la reprendre à des fins commerciales et à l’occasion de campagnes publicitaires. C’est peut-être ce qui a poussé son auteur, Rigobert SONG, a protégé l’expression comme marque auprès de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI).
Que devons-nous en penser en tant que Spécialiste de la propriété intellectuelle ?
La question est intéressante et même passionnante en ce qu’elle remet au goût du jour la protection par la propriété intellectuelle des slogans et tout particulièrement de ceux qui ont fait l’objet d’un buzz médiatique par-delà les frontières du monde. On pense notamment à :
- « non mais allo quoi » de Nabila ;
- « y’re fired » (vous êtes viré) de Donald TRUMP ;
- « Ma chérie » de Cristina CORDULA sur M6 ;
- « C’est votre dernier mot ? » de Jean-Pierre FOUCAULT ;
- « Ici c’est Paris » du Paris-Saint-Germain (PSG).
Débutons notre réflexion sur le terrain du droit d’auteur …
La propriété intellectuelle étant duelle, ce qu’il faut dire dans un premier temps, c’est que le droit d’auteur protège toutes les œuvres littéraires ou artistiques exprimées sous une forme tangible et sous réserve d’originalité.
Partant de ce principe, les slogans, en tant qu’œuvres littéraires, sont protégeables par le droit d’auteur dès lors qu’ils sont clairement exprimés sous une forme tangible comme ce fut le cas de la « théorie du danger »r qui a été formulée devant des médias et ensuite fixée par écrit.
Il reste néanmoins à s’interroger sur l’originalité du slogan.
L’originalité en matière de droit d’auteur est une notion complexe qui s’apprécie différemment selon le territoire sur lequel on se trouve et selon les cas d’espèces. Tantôt liée à la nouveauté de l’œuvre, tantôt liée à l’empreinte de l’auteur sur l’œuvre, nous dirons que, quel qu’en soit le cas, il y’a pour ce qui concerne la théorie du danger un débat.
D’aucuns considèrent en effet qu’il s’agit d’une expression des plus banales. Ceci-dit, recherchée ou non, inspirée ou non, il faudrait quand même reconnaitre sa singularité au moment où elle a été employée et par la suite.
Si l’on prend la dernière partie de l’expression, celle qui a fait le plus parler et qui semble être la plus originale, « c’est de ça qu’il s’agit », il faudrait noter que l’orthographe utilisé ne relève pas tout à fait du « bon » français qui aurait plutôt voulu qu’on dise « c’est de cela qu’il s’agit ».
À toutes fins utiles : L’auteur n’en est pas à son premier écart de langage qui amuse puisqu’il dira plus tard à l’attention du président de la FECAFOOT et du ministre camerounais des Sports, « leur adresser toute son ingratitude ». Là encore, une expression devenue virale.
Qui plus est, rajouté au ton particulier et à la gestuelle (hochement de tête) de son auteur, d’ailleurs reprise par plusieurs GIF sur plusieurs applications de messagerie instantanée, on pourrait lui reconnaitre une empreinte.
Le buzz qui s’en ai suivi pourrait consolider le rattachement de cette empreinte à celui qui l’a employée et, donc, à son auteur.
Toutefois, le débat autour de l’originalité de ce slogan reste ouvert et il ne s’agit pas pour nous de le trancher ici …
Quid du dépôt de la marque auprès de l’OAPI ?
La marque à l’OAPI protège les signes visibles (verbaux et/ou figuratifs) ou sonores. Donc, un slogan, en tant que signe verbal, peut être protégeable au titre d’une marque.
On pense souvent que seul un mot ou un logo peut être déposé, mais une expression ou un slogan peut aussi être protégé(e) par une marque.
En effet, Rigobert SONG n’est pas le premier à protéger une expression. À titre de marque, l’Oréal a protégé son slogan « Parce que je le vaux bien », Leroy Merlin celui « … et vos envies prennent Vie ! », McDonald’s celui « Venez comme vous êtes », etc.
En ce sens, la marque s’avère être un bon moyen complémentaire de protéger une « création littéraire ». Elle viendrait ainsi renforcer le droit d’auteur dès lors que l’originalité pourrait être débattue ou difficile à démontrer.
Pour autant, être un signe protégeable ne suffit pas. Il faut également que le signe, en l’occurrence verbal, que l’on souhaite protéger comme marque soit :
- Licite, c’est-à-dire conforme aux bonnes mœurs et à l’ordre public ;
- Disponible c’est-à-dire qu’il n’ait pas déjà fait l’objet d’un enregistrement antérieur dans les registres de l’OAPI (voir néanmoins l’éventualité d’un risque de confusion) ;
- Et, surtout, distinctif par rapport aux produits ou services qu’il couvre.
C’est peut-être cette dernière condition qui pourrait être discutée bien qu’à notre sens il n’y ait pas vraiment de débat.
Déposé le signe verbal « c’est de ça qu’il s’agit » pour couvrir par exemple des produits de vêtements ou des services de publicité nous semble parfaitement distinctif d’autant que l’auteur est lui-même l’égérie de plusieurs campagnes publicitaires.
Il pourra ainsi exploiter, dans ce cadre et en plus de son droit à l’image, son droit d’auteur et son droit à la marque sur l’expression convoitée « c’est de ça qu’il s’agit ».
Cela lui permettrait également de réagir efficacement contre des utilisations qu’il n’a pas souhaitées. Ainsi, pourra t-il mettre en demeure de cesser l’exploitation de l’expression, et tout usage non autorisé constituera une contrefaçon et sera condamné à ce titre.
La protection recherchée par Rigobert SONG est essentielle en ce sens qu’elle protège son buzz et le valorise.
Cependant, si l’expression « c’est de ça qu’il s’agit » est protégeable comme marque et qu’il est judicieux de le faire, constituera-t-elle une marque solide ? Cela va dépendre de son auteur/titulaire et de sa capacité à la valoriser sur la durée pour en faire une signature (commerciale) personnelle.
Mais, nous craignons que son exploitation se limite aux effets dans le temps du buzz, et non pas sur la durée légale de la protection (10 ans), avec le risque de se voir opposer la déchéance de la marque pour inexploitation.
Ou, plus simplement, que la marque ne soit tout pas renouvelée au terme des 10 ans de protection.
En savoir plus nous, nos domaines et nos expertises.
Team EKEME LYSAGHT
Comment (1)
Placide Lumpungu
says février 04, 2024 at 2 h 49 minMerci beaucoup, je suis en train de réfléchir sur la question concernant Chancel Mbemba. J’apprécie votre démarche. Ne me détournez pas non plus l’idée, elle est protégeable en droit de la responsabilité civile. Je fais la capture 😀