Au courant du mois de février dernier, nous vous annoncions lancer officiellement notre année 2022.
Et pour cause, il nous a fallu du temps pour s’imprégner des grands changements règlementaires au sein (du système) de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) ; lesquels mettaient en application, dès le 1er Janvier 2022, diverses dispositions du nouveau code de propriété industrielle, plus généralement connu des Mandataires agréés sous l’appellation « nouvel Accord de Bangui ».
Parmi les changements majeurs, il y’a celui de l’introduction de l’examen quant au fond des demandes d’enregistrement des titres de propriété industrielle dont les marques.
N.B. : Retrouvez notamment le détail de ces titres ainsi que la distinction faite avec le droit d’auteur en consultant notre billet sur « qu’est-ce que la propriété intellectuelle ? ».
Alors, à quoi renvoi exactement l’examen des demandes quant au fond ?
L’examen quant au fond suppose une analyse approfondie et détaillée des différentes conditions de validité (légale) pour qu’un signe, un packaging ou encore une invention puisse bénéficier (respectivement) d’une protection par une marque, par un dessin ou modèle industriel, ou encore par un brevet.
N.B. : Il est important de toujours dissocier l’objet de la protection intellectuelle du titre qui le protège véritablement afin d’éviter des erreurs récurrentes du type : « breveter sa marque ». Le brevet protège une invention et la marque protège un signe. Mais, encore faut-il que cette invention ou ce signe réponde à certaines conditions de validité ; et c’est là qu’intervient l’examen quant au fond.
S’agissant particulièrement des marques et des signes qu’elles protègent, plusieurs conditions de fond sont exigées. Il s’agit de répondre aux questions suivantes :
- 1. Le signe fait-il partie des catégories pouvant être admis comme marques ?
Les signes classiquement admis au sein de l’OAPI sont des signes visibles verbaux (lettres, chiffres) et/ou figuratifs. Avec la nouvelle législation, de nouveaux types de signes sont désormais admis. C’est le cas des signes sonores, des signes en série, des signes de position, des signes en mouvement ou encore des signes multimédia. Nous y reviendrons certainement dans un prochain article.
- 2. Reproduit-il parmi ses éléments des armoiries officielles, une dénomination commune internationale ou une indication géographique ?
En effet, le signe ne doit pas reproduire en tout ou partie des éléments officiels d’un état (drapeaux, poinçons, emblèmes, …), d’une marque notoire (Coca-Cola, Apple, HP, …) ou d’un signe protégé et utilement reconnu pour identifier un produit comme étant originaire d’une zone géographique précise dans les cas où une qualité ou une autre caractéristique déterminée du produit peut lui être essentiellement attribuée (c’est le cas à l’OAPI du poivre de Penja, du miel d’Oku, …).
- 3. Le signe est-il disponible ?
Cela signifie que le signe ne doit pas avoir fait l’objet d’une exploitation connue, d’une protection ou d’un dépôt antérieur par une personne tierce. Des investigations préalables, dont une recherche d’antériorité, sont donc recommandées avant d’envisager le dépôt de son signe comme marque.
- 4. Est-il suffisamment distinctif ?
La raison d’être d’une marque c’est qu’elle doit permettre, à travers le signe, de pouvoir distinguer véritablement les produits ou services d’une personne, d’une entreprise ou d’une organisation de ceux des autres. Ainsi, le signe ne doit pas désigner directement le produit ou service qu’il couvre.
Par exemple, on ne pourrait pas, dans notre contexte africain, protéger l’unique signe verbal « KOSSAM » pour des produits laitiers alors même que c’est un terme qui renvoi directement à ce type de produit. Là-aussi, nous pourrons y revenir plus tard dans un autre article.
- 5. Peut-il induire le public en erreur ?
Ça serait le cas si le signe comporte des indications trompeuses notamment sur l’origine géographique, la nature ou les caractéristiques des produits ou services considérés.
- 6. Est-il conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs ?
Nous vous laissons le soin d’en juger.
L’inventaire des conditions fait, cela peut paraitre étonnant aujourd’hui que l’on procède à un examen quant au fond. Est-ce à dire, qu’avant, l’OAPI ne faisait aucun examen des demandes d’enregistrement de marques ?
En réalité, il procédait à un examen rapide, partiel et restreint à celui du type de signe pouvant être admis, à celui d’une contrariété éventuelle à l’ordre public et aux bonnes mœurs, et dans une moindre mesure, à celui d’une reproduction d’éléments officiels ou notoires.
Si l’on devait expliquer cet état de faits, nous pensons que les raisons seraient à chercher au niveau de l’orientation politique donnée par l’Organisation qui souhaitait, à l’époque, promouvoir et encourager davantage les dépôts de marques.
Il fallait donc une certaine tolérance vis-à-vis des objets à protéger et des conditions pour le faire. Raison pour laquelle, il existe au sein des registres de l’OAPI des marques enregistrées ne répondant pas tout à fait à une analyse stricte des conditions de fond telles que prévues pour les enregistrer.
Partant, la situation sera désormais différente : l’OAPI appréciera-t-il maintenant dans les détails la disponibilité du signe ainsi que sa distinctivement ?
Dans le premier cas, non. La disponibilité du signe, elle, est laissée aux éventuels titulaires de droits antérieurs qui pourront exercer, concomitamment à l’examen quant au fond fait par l’Organisation, les recours en opposition ou en revendication de propriété.
N.B. : Ces recours sont désormais ouverts dès la publication de la demande d’enregistrement (qui sera donc rendue publique) et non plus dès la publication de l’enregistrement (c’est là-aussi une grande nouveauté du nouvel Accord de Bangui).
Autrement dit, c’est à eux de contester la disponibilité du signe et d’en revendiquer les droits au titre de marque.
Dans le second cas, à priori, oui. Mais, en tant que Spécialiste, nous avons des réserves sur cette opportunité et sur les critères, encore flous, qui sous-tendront son analyse par les examinateurs de l’OAPI.
En effet, si l’on peut se mettre d’accord sur un certain nombre de critères visuels, phonétiques et/ou conceptuelles de « déceptivité » manifeste, la vérité est que l’analyse de la distinctivité d’un signe reste difficile, complexe et source de grand contentieux, particulièrement à l’étranger.
On a par exemple eu dernièrement la marque « RENT-A-CAR » qui, malgré son manque présumée de distinctivité pour des services de location de voitures[1], a été reconnu distinctive par la Cour de cassation française qui avait notamment considéré que le signe a acquis un caractère distinctif par son usage intensif[2].
Revoir aussi notre billet sur l’affaire de l’enregistrement de » CHAMPIONNAT D’EUROPE DE FOOTBALL » comme marque : distinctive ou non ?
Alors, une telle marque, une fois enregistrée à l’étranger et reconnue par un Tribunal étranger comme distinctive, pourrait-elle faire l’objet d’un enregistrement valable auprès de l’OAPI ?
Rien n’est moins sûr …
[1] Étant simplement la traduction anglaise de « LOUER-UNE-VOITURE »
[2] Cour de cassation, ch. com., 7 Juillet 2021, Rent A Car SA c. Enterprise Holdings France SAS et Enterprise Holdings Inc.