L’idée de discuter généralement des indications géographiques au sein de l’espace de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) est intéressante pour plusieurs raisons.
D’abord, l’intérêt que cet objet de protection présente pour les spécialistes de la zone OAPI qui le connaissent plutôt bien sur le plan théorique mais beaucoup moins sur le plan de la pratique et des problématiques juridiques spécifiques qu’il pourrait soulever à l’égard de d’autres objets de protection, principalement les signes distinctifs au premier rang desquels les marques (le cas échéant, collectives).
Ensuite, l’intérêt que cet objet de protection présente pour l’OAPI et ses dix-sept (17) États membres qui, depuis une quinzaine d’années, l’ont placé véritablement au centre de la politique de protection de l’Organisation dans le but d’en faire un important instrument de développement économique et social.
N.B. : Cette politique s’est notamment matérialisée par la création d’un Programme d’appui à la mise en place des indications géographiques (PAMPIG) dont les résultats ces cinq (5) dernières années, par rapport aux cinquante (50) dernières années, ont été « époustouflants et exponentiels » avec l’enregistrement de dix (10) indications géographiques protégées, à savoir : le poivre de Penja et le miel d’Oku au Cameroun ; le café Ziama de Guinée ; l’ananas pain sucre du Bénin ; le chapeau de Sapomé du Burkina ; les échalotes de Bandiagara du Mali ; l’oignon violet de Galmi et le kilichi au Niger ; les pagnes baoulé et l’attiéké des Lagunes en Cote d’Ivoire.
En outre, il y’a lieu de noter que la récente crise de la COVID-19 a suscité un regain d’intérêt pour les produits du terroir, ceux issus du Made in Africa, du Made in OAPI ou du Made in Cameroon, ce qui s’est fait fortement ressentir au niveau des demandes locales ou résidentes de protection, avec notamment pour ceux des futurs titulaires de droit qui s’inscrivent dans une démarche communautaire et ayant l’envie de créer des labels communs, ce dilemme latent qui est celui de savoir s’il faut véritablement aller vers une protection par l’indication géographique ou s’il n’existerait pas une protection alternative voire intermédiaire ?
C’est là précisément que discuter, cette fois-ci, du choix entre les indications géographiques et les marques collectives devient particulièrement intéressant !
Définir une « marque collective », c’est d’abord définir une « marque ».
La « marque », en droit OAPI, se définit comme un signe visible ou sonore qu’on utilise ou que l’on se propose d’utiliser dans le commerce et qui est propre à distinguer nos produits et/ou nos services d’une autre personne physique ou morale.
La « marque collective » sera ainsi celle qui porte sur un signe dont les conditions d’utilisation sont fixées par un règlement approuvé par l’autorité compétente et que seuls les groupements de droit privé ou de droit public, les syndicats et les associations, peuvent utiliser, pour autant qu’ils soient officiellement reconnus et qu’ils aient la capacité juridique.
De son côté, l’« indication géographique » est un signe ou une appellation qui sert à identifier un produit comme étant originaire d’un lieu, d’une région ou d’un pays, dans les cas où une qualité, une réputation ou une autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique.
Le « produit » doit être ici compris dans un sens large puisqu’il peut s’agir d’un produit naturel, agricole, artisanal ou industriel.
Ainsi définies, l’indication géographique et la marque collective présentent plusieurs points communs.
Les points communs entre la marque collective et l’indication géographique
Elles portent, en effet, toutes les deux sur un signe, à priori visible et verbal, qui est propre à distinguer des produits. Elles supposent une démarche de protection similaire, celle d’une demande d’enregistrement faite auprès de l’OAPI.
Une fois enregistrées, elles confèrent des droits analogues. Elles supposent également une titularité collective en ce sens qu’elles peuvent être exploitées par plusieurs personnes qui peuvent, par ailleurs, les apposées au côté de leurs propres marques individuelles.
La liste des points communs n’est pas ici exhaustive…
Les points de divergence entre la marque collective et l’indication géographique
Pour autant, l’indication géographique et la marque collective présentent chacune des spécificités.
Ces spécificités concernent en premier lieu le dossier de demande d’enregistrement. Dans l’un, il est par exemple exigé un règlement d’usage devant être approuvé par l’autorité compétente, et dans l’autre, un cahier des charges dont l’élaboration ou la conception peut s’avérer très complexe.
On a aussi la durée de la protection qui diverge. Une marque collective enregistrée produit ses effets durant 10 ans, renouvelable de manière illimitée. Or, la durée de protection d’une indication géographique est en principe illimitée sans qu’il ne soit nécessaire de renouveler son enregistrement.
L’objet territorial est également différent. Dans le cadre d’une indication géographique, il s’agit d’une aire géographique précisément identifiée ; là où une marque collective n’impose pas de restriction territoriale particulière en matière d’identification ou de rattachement du produit.
Ceci-dit, et c’est ici un paradoxe, l’indication géographique a une portée symbolique et macro-économique beaucoup plus importante et plus large que celle de la marque collective avec d’ailleurs une suprématie juridique reconnue sur les autres marques (postérieurement) enregistrées.
Alors, que choisir finalement ?
Pour répondre à cette question, on va évoquer une récente affaire.
En 2020, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) a mis en place un programme pilote portant sur le tourisme gastronomique en lien avec la propriété intellectuelle.
La première phase de ce programme s’est déroulée en Amérique du Sud, en Asie et en Afrique. Pour ce qui concerne le continent africain, c’est le Cameroun qui a été spécifiquement choisi.
Y faisant suite, une étude exploratoire des principales traditions culinaires existantes au Cameroun a été menée au courant de l’année 2021.
Cette étude a consisté à établir un répertoire des traditions culinaires ayant une renommée nationale et internationale, et qui pouvaient, dans le même temps, être valorisables par le tourisme et la propriété intellectuelle. L’étude s’est ainsi concentrée sur 20 plats typiques camerounais.
Sur la base de cette étude exploratoire et des 20 plats recensés, une table ronde réunissant une centaine de participants a eu lieu en décembre 2021 et a permis de sélectionner 10 traditions culinaires, dont l’EKOKI.
Au courant de l’année 2022, une analyse de sensibilité relative à la propriété intellectuelle et portant sur ces 10 plats a été conduite afin de :
- Préciser davantage les activités connexes et touristiques de ces plats ;
- Décrire les recettes et les différentes chaines de valeurs des traditions culinaires en présence ;
- Envisager des pistes d’appropriation et de valorisation intellectuelles/industrielles des traditions en fonction du ou des segment(s) des chaines de valeurs. À ce sujet, ont été particulièrement envisagés les Savoir-faire Traditionnels, les Marques et les Indications Géographiques.
Mais, à l’occasion de la présentation des résultats de cette étude, il va se trouver que pour un met spécifique, l’EKOKI, l’équipe de mission lui avait attribué une appartenance à deux aires culturelles différentes.
Ce qui va susciter un vif débat au sein des communautés concernés et des spécialistes de la propriété intellectuelle car l’EKOKI avait déjà été reconnu, dans les registres nationaux culturels, comme relevant d’une seule aire culturelle ; de sorte qu’il avait tout simplement subi, au fil des années, des modifications et des adaptations de recette dues au multiculturalisme (mariage, etc.) qui ont conduit à certaines innovations pouvant être attribuées à d’autres ethnies.
Au moment de cette controverse, l’État va décider de mettre en place un groupe de travail interministériel, assisté de plusieurs Experts. Ses travaux ont abouti à ce que soit clarifier le rattachement culturel (et donc géographique) de ce met et à ce qu’il soit recommandé d’initier dans les meilleurs délais un processus de protection par la propriété intellectuelle.
La question se posait ainsi de savoir s’il fallait envisager une protection par l’indication géographique ? Si oui, comment y arriver ?
À cette question, le Cabinet saisi à l’époque répondait assez clairement pour dire qu’en réalité, la procédure d’enregistrement d’une indication géographique ne présente pas en soi de difficultés particulières ; et que c’était beaucoup plus la mise en œuvre, en amont, de la méthodologie consacrée en matière d’identification, de sélection et de reconnaissance de l’indication géographique, qui était problématique car elle suppose un lourd déploiement de la base au sommet de l’État.
Ce qui la rend d’ailleurs complexe, longue et couteuse.
Voir dans ce sens le Guide pratique de l’OAPI : « SÉLECTION DES PRODUITS ÉLIGIBLES À UNE DÉMARCHE D’INDICATION GÉOGRAPHIQUE : L’EXPÉRIENCE DU PAMPIG 2 ».
Qui plus est, nous expliquait le Cabinet, certains intrants de la recette de l’EKOKI étaient, eux-mêmes, éligibles à une protection comme indication géographique : c’était le cas de la variété particulière et singulière des graines de NYEBE (haricot très spécial).
Alors, dans l’attente, la question s’est donc posée de savoir comment surmonter ou contourner cette difficulté ?
Eh bien, par le dépôt d’une marque collective « EKOKI » qui se révélait plus flexible et accessible. Selon le Cabinet, elle a permis de rester dans une démarche inclusive en mobilisant les populations concernées mais aussi les administrations et les collectivités territoriales de l’État qui ont su s’accorder sur un Règlement d’usage de ce signe.
Nous retenons de cette affaire que le rapport entre l’indication géographique et la marque collective ne se pose pas tant en termes d’exclusion ou d’exclusivité de l’un ou de l’autre mais plutôt en termes de complémentarité de l’un avec l’autre.
La marque collective peut être, à moyen terme, une protection d’étape ou intermédiaire qui permettrait de tendre, sur le long terme, vers une indication géographique qui se révèle, au demeurant, beaucoup plus complexe à obtenir et qui suppose une coopération efficace entre les communautés, les pouvoirs publics et, parfois, entre plusieurs États.
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Team EKEME LYSAGHT